Une semaine au collège pour écrire et décrypter l’info

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Pendant la première semaine des vacances d’hiver, du 14 au 18 février, sept collégiens en classe de 3ème aux collège Lucie Aubrac, Olympique et Jean Vilar ont participé à un atelier d’écriture et de découverte des médias, organisé par un journaliste de l’association Zone d’expression prioritaire, en partenariat avec le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information. Adrien Bail, l’animateur de ce stage, revient sur ces cinq journées bien remplies.

« J’ai quatre origines différentes ; j’ai 15 ans ; j’ai envie d’être là ! » Amin* a prononcé ses trois propositions sur un ton monocorde. Le but de l’exercice ? Se présenter aux autres en proposant deux « mensonges » et une « vérité ». Manière de s’introduire en évitant le formel tour de table. Nous sommes au collège, mais nous n’y sommes pas vraiment. Pendant cinq jours, moi, journaliste professionnel, je suis là pour animer un stage mêlant découverte des médias et atelier d’écriture. Eux, sept collégiens en classe de troisième, issus des trois établissements de la cité éducative de Grenoble-Échirolles, sont mes apprentis journalistes. Au début de cette semaine, qui tombe pendant leurs vacances, je cherche à créer une ambiance différente, plus détendue, moins scolaire. C’est pourquoi nous commençons par le jeu. Dans la prise de parole d’Amin, j’ai bien perçu le trait d’humour. Mais motivé ou pas au départ, je suis certain que la semaine lui apportera une bonne raison d’avoir été là.

Journaliste professionnel à Chambéry, je travaille avec l’association Zone d’expression prioritaire, fondée en 2015 par les journalistes Édouard Zambeaux et Emmanuel Vaillant. À la Zep, on est convaincus que les jeunes ont quelque-chose à dire. Paradoxalement, les médias leur donnent assez peu la parole ; surtout, les jeunes ne se sentent pas suffisamment représentés et considérés… par des médias qu’ils fréquentent peu. La Zep organise des stages dans des lieux accueillant des jeunes : établissements scolaires, missions locales, mais aussi en hôpital, parfois en établissements pénitentiaires. D’ordinaire, nous proposons quatre ou cinq ateliers de deux heures, répartis sur une ou plusieurs semaines. Cette semaine à Villeneuve est plus intensive, puisque nous sommes ensemble pendant cinq jours, six heures par jour. L’idée est venue d’un constat : en ces années placées sous le sceau de l’épidémie de Covid, nombre de collégiens sont en peine de réaliser le stage en milieu professionnel qui leur est demandé en classe de troisième. Alors, pourquoi ne pas leur proposer un stage avec un professionnel qui viendrait au collège ?

Pour cette semaine, j’ai deux objectifs. D’abord, les faire écrire. Écrire pour s’exprimer, en disant « je », écrire pour prendre du plaisir, peut-être même écrire pour écrire. Afin de les aider à sortir d’une écriture « scolaire », je leur propose de passer par des jeux d’écriture : écrire avec une contrainte (des mots imposés par exemple), inventer un début à une fin (et vice versa), décrire un lieu familier ou imaginaire en utilisant un ou plusieurs sens…

À mesure des exercices, les plumes se délient, on écoute les autres, on s’amuse à lire ce que l’on a écrit soi-même. Je participe, évidemment. Nous réfléchissons ensuite au sujet qui doit nous occuper cette semaine : « Quelle est votre actualité ? Qu’est-ce qui vous concerne, et qui raconte en même temps quelque chose de la société dans laquelle nous vivons ? Quelque chose qui pourrait intéressé un lecteur ailleurs en France ? » Le terrain sur lequel je souhaite les emmener est un point de rencontre. Leur vie, leur expérience, quotidienne, familiale, scolaire… n’est pas sans lien avec l’actualité, avec les sujets d’intérêt général qui intéressent les médias, et qui font l’information. Au contraire. Alors, post-it et stylos à la main, nous réfléchissons : parlerons-nous de Covid ? Des élections à venir ? De Nintendi Switch ? De Ninho en concert ? De trottinette électrique ?... Des sujets qui les concerne, et qu’ils peuvent aborder à leur hauteur, avec leurs propres yeux. Comme de vrais journalistes, ils rédigeront un article informatif abordant le sujet avec un angle précis, des éléments concrets, qu’ils prendront le temps de décrire, d’expliquer, d’organiser.

Deux des participants évoqueront le sujet du harcèlement scolaire, qu’ils l’aient subi ou qu’ils en aient été témoins ; deux autres s’intéresseront aux élections, objet de débats à la maison, mais trop absent des préoccupations de leurs camarades, à leur goût ; un autre évoquera la question de l’addiction au jeu vidéo, sujet de crispation et de disputes avec ses parents, objet d’inquiétude personnelle, malgré tout ; un dernier, Italien d’origine, évoquera son déménagement soudain à Grenoble, alors qu’il ne parlait pas un mot de français… Plusieurs de ces textes seront prochainement publiés sur le site de la Zep (https://zep.media/), et sont susceptibles d’être repris par nos médias partenaires (Bondy Blog, Libération…).

Le second objectif de cette semaine est de découvrir le vaste champ des médias. Pas question de viser l’exhaustivité, encore moins de décrire les médias de l’extérieur, je voudrais les amener à les investir de l’intérieur. Je commence pour cela par un escape game dont l’objectif est de déjouer le piège d’une fausse information. Moyen ludique d’identifier ce qui fait l’essence d’une information : une information n’est pas une rumeur, ni un potin (même quand il reçoit des milliers de like sur les réseaux sociaux). Une information est une donnée nouvelle, d’intérêt général, que l’on a vérifiée avant de la transmettre ; elle doit donc suivre un circuit précis, que nous retraçons ensemble…

Nous commençons chaque journée par l’écoute d’un journal radio ou d’un podcast, afin de décrypter ensemble la manière dont l’information est hiérarchisée et traitée, selon les médias, selon les formats plus ou moins courts, ce qui ressort de l’actualité chaude et du magazine… Un après-midi, un de mes amis photographes vient pour leur parler de son métier et leur proposer des ateliers pratiques. Raconter une histoire à partir de photos imprimées, réaliser un portrait d’un ou une camarade en réfléchissant au message que l’on veut transmettre et aux moyens techniques de le faire : cadrage, profondeur de champ, choix de la lumière…

Deux autres ateliers ont suscité l’enthousiasme. Le premier a eu lieu à la Maison de l’image, dans le quartier de Villeneuve, organisme ouvert à tous, proposant du matériel et l’encadrement d’animateur autour de l’image, fixe et animée. Avec Gaël, l’animateur, nous avons ainsi réalisé deux « pocket-films » avec un outil de tous les jours : un smartphone. Ensemble, nous avons bâti un scénario, réparti les rôles (acteurs, lumière, prise d’image et de son) et enregistré en plan séquence.

Enfin, nous avons fait un tour du côté de New’s FM, radio associative locale. Après une découverte de l’historie de la radio et de son fonctionnement, Farid Boulacel, directeur de la radio, leur a ouvert les portes du studio pour quelques minutes de direct. Dans l’atmosphère ouatée su studio, assis face au micro, ils ont été invités à raconter une chose de cette semaine que nous venions de partager. À les écouter, tous sont ressortis de ce stage en ayant fait une découverte.

Adrien Bail