Le grand pari des cités éducatives

Dossier la Gazette des communes - 16.12.2020

Le système éducatif français figure toujours parmi les plus inégalitaires de l’OCDE. Avec les « cités éducatives », qui visent à lutter contre l'empilement des dispositifs éducatifs scolaires et périsocolaire, l’Etat entend faire suivre « un parcours d’excellence » aux enfants et aux jeunes des quartiers prioritaires, de la naissance jusqu’à 25 ans.

Dans son plan pour les banlieues, en avril 2018, ­Jean-Louis ­Borloo, ancien ministre de la Ville, en appelait à « un sursaut de tous les acteurs de la Nation » et convoquait le « faire ensemble » pour passer de l’école aux « cités éducatives ». Aujourd’hui, la seule proposition qu’a retenue ­Emmanuel ­Macron, après avoir enterré le rapport, suscite beaucoup d’espoirs. Avec les cités éducatives, le gouvernement ambitionne de fédérer tous les acteurs des quartiers prioritaires de la politique de la ville pour en faire « des lieux de réussite ­républicaine ». Il s’agit d’intensifier les prises en charge éducatives des enfants et des jeunes jusqu’à 25 ans, « avant, pendant, autour et après le cadre scolaire ».
Pour tester cette approche partenariale, 80 territoires cibles ont été identifiés par l’Etat au printemps 2019. Des quartiers d’habitat social de plus de 5 000 habitants, présentant des dysfonctionnements urbains importants et relevant de l’éducation prioritaire. Pour être labellisées, et bénéficier des financements de l’Etat, les collectivités cheffes de file ont dû « montrer leur détermination à faire de l’éducation une grande priorité partagée ».

En finir avec l’empilement des dispositifs

Mais comment faire davantage, alors que les territoires visés qui concentrent des difficultés plurielles, mobilisent déjà nombre de politiques publiques ? « En mettant en cohérence ce qui existe déjà », répond ­Frédéric ­Bourthoumieu, coordinateur national des cités éducatives à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). « Nous sommes toujours à la recherche d’une territorialisation des actions éducatives. Elle bute très souvent sur le fait que les acteurs ne travaillent pas suffisamment ensemble », illustre ­Agnès ­Bathiany, directrice générale de la Fédération générale des PEP (lire aussi p. 40). « La cité éducative entend donc créer une synergie à l’échelle locale, pour que tous les dispositifs soient mieux connus, mieux pilotés, en tenant compte des besoins des jeunes », détaille-t-elle.
Selon Nadia Hai, ministre déléguée chargée de la Ville, « il faut sortir d’une politique de dispositifs pour entrer dans une logique de parcours éducatif ­d’excellence. Aucun jeune ne doit rester sans solution à 25 ans », plaide-t-elle. Les territoires défricheurs ont trois ans, de 2020 à 2022, pour inventer ces nouvelles démarches partenariales. Une équipe interministérielle « Ville  - Education nationale » est chargée de les soutenir dans cet effort. « Temps de réflexion, espaces d’animation… nous voulons insuffler des ­contenus et permettre aux acteurs de se ­rencontrer », ajoute ­Suzie ­Chevée, cheffe de projet « cités éducatives » à l’ANCT.

Un fort suivi

Le Comité national d’orientation et d’évaluation (CNOE) des cités éducatives, présidé par la députée (LREM) de la Seine-Saint-Denis Sylvie Charrière, va, lui aussi, éclairer et orienter les acteurs des cités éducatives sur les trois années d’expérimentation. Composée d’élus locaux, de représentants associatifs, de citoyens et d’experts, « cette instance doit questionner la mise en œuvre des cités éducatives », explique ­Frédéric ­Bourthoumieu. Elle produit des avis ainsi qu’un rapport annuel.
Plusieurs groupes de travail thématiques y ont été constitués : citoyenneté, protection de l’enfance, ­égalité filles-garçons, relation avec les familles, climat scolaire… « C’est un vrai changement par rapport­ à d’autres politiques publiques, avec une approche à 360° », se réjouit ­Agnès ­Bathiany, membre du CNOE. Au niveau local, chaque cité éducative est pilotée par une « troïka » d’égale importance, composée d’un représentant de la préfecture, du principal d’un collège et d’un agent de la collectivité territoriale. « Nous voulons, autour de la table, des personnes capables de mobiliser des équipes », insiste le coordinateur national.

 

Evaluation à tous les niveaux

L’originalité des cités éducatives réside, en outre, dans leur mode d’évaluation. Toutes n’ont pas les mêmes priorités. La petite enfance peut être fondatrice de la réussite éducative pour certaines, quand, pour d’autres, la rénovation urbaine sera considérée comme stratégique…
A chaque territoire de choisir ses propres modalités d’évaluation. « C’est la première brique, qui va nous permettre de tirer des enseignements, site par site. Nous aurons également une approche évaluative par thématique, avec l’aide de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. En parallèle, une évaluation nationale, conduite par l’université de Bordeaux, va se pencher sur l’efficacité de la gouvernance à trois », précise ­Frédéric ­Bourthoumieu. Ce programme nourrit beaucoup d’attentes au sommet de l’Etat puisque 40 nouvelles cités éducatives vont être lancées début 2021. Cent millions d’euros sont mis sur la table pour ces trois années d’expérimentation, auxquels s’ajoutent dix-sept millions d’euros pour soutenir les nouveaux venus en 2021. « D’un point de vue budgétaire, ce programme arrive juste derrière celui de la rénovation urbaine », pointe ­Nadia ­Hai.
La ministre de la Ville insiste sur le rôle essentiel des collectivités. Reste à savoir si les territoires de la politique de la ville, heurtés par la crise sanitaire, pourront suivre comme c’était prévu.

Retrouvez le dossier complet avec des expériences de terrain ci-dessous:

 

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